Caractérisée par une plus grande collectivisation des services qu'en Amérique du Nord, l'Europe centrale compte parmi les régions du globe les mieux garnies en transport collectif. Je suis allé voir par moi-même de quoi il en retourne, et suis revenu comblé, l'appareil photo rempli de nouvelles observations. Aussi, c'est toujours le fun de se promener dans des villes et les découvrir. Cette série de billets relate sous forme de compte-rendu ces expériences que j'ai pu vivre en Allemagne, Autriche, Slovénie et Italie, au printemps 2015.
En lisant le texte, vous lisez un mot étrange en langue étrangère? Visitez le billet précédent pour un lexique compréhensif.
Slovénie/Slovenija
Ljubljana (/ʎu’bʎana/, « l'adorable »)
La Slovénie est un tout petit pays (classé 153e pour sa superficie) peuplé de deux millions d'âmes à l'interface de l'Europe centrale et des Balkans. Avec une population urbaine de moins 50 %, le visage de la petite nation est fortement contrasté, métissé par son héritage slave, latin et germanique. Si une forme invraisemblable de paysannerie a encore cours aux confins du territoire, les villes ― tout aussi petites qu'elles soient ― sont ancrées dans la réalité des réseaux globaux, affichant encore les stigmates de la crise financière et immobilière de 2009. La population y est stable, voire légèrement décroissante, et la bulle immobilière éclatée y a laissé davantage de stigmates que la sécession relativement paisible de la Yougoslavie en 1991.
La capitale de la Slovénie, Ljubljana, en est également la plus grande ville du haut de ses 275 000 habitants. Malgré tous ses défauts, la petite ville m'a conquis. Sa population est jeune, la culture y est vivante, foisonnante, les habitants sont préoccupés par l'aménagement de leur ville et connaissent bien l'architecture et l'urbanisme. Bref, chaque morceau de ville a quelque chose à raconter. Bien que modeste en taille, la ville a tout le clinquant et le prestige d'une capitale nationale.
La libéralisation des marchés post-rideau de fer et l'entrée dans l'Union Européenne en 2004 ont fait en sorte que les transports publics se sont assez radicalement privatisés au pays de Tito, exception faite de rares agences.
Vue du quartier Bežigrad (« La cité de la porte d'entrée ») à partir du château Ljubljanski Grad. En arrière plan : les Alpes kamniques et le massif du Grintovec. |
Derrière ce mur, le trou béant d'un projet immobilier abandonné accueille les visiteurs à leur sortie de la gare. |
La libéralisation des marchés post-rideau de fer et l'entrée dans l'Union Européenne en 2004 ont fait en sorte que les transports publics se sont assez radicalement privatisés au pays de Tito, exception faite de rares agences.
Un autocar de marque... Otokar! |
Mon amoureuse et moi sommes arrivés de la campagne slovène par autocar à l'Avtobusna postaja Ljubljana (/aoːtobusna postaja/, « Gare d'autobus de Ljubljana »), laquelle jouxte la gare ferroviaire. Nous étions partis de Trojane et nous avons voyagé avec la compagnie Izletnik Celje, un opérateur privé qui possède une ligne régionale entre Maribor, seconde ville du pays, et la capitale via Celje, où la compagnie est basée. 4,70€ ont suffi pour couvrir les 40 kilomètres qui séparaient le sentier de grande randonnée E6 et le centre-ville de Ljubljana.
La gare routière et ferroviaire de Ljubljana, ayant pignon sur rue sur le square Osvobodilne Trg, est presque entièrement extérieure, si ce n'est que d'un petit abri qui comprend quelques tabacs et échoppes, une billetterie et un comptoir de service à la clientèle. C'est une grande station, avec plus de 30 quais, chacun dédié à un corridor de service. Les autocars à impériale y sont plus rares qu'en Autriche; sur mes 6 visites à la gare, le seul autocar deux étages qu'il m'a été donné d'apercevoir opérait pour le compte de la Deutsche Bahn Intercity sur la ligne München (D) – Ljubljana (SLO) – Zagreb (HR). Outre les compagnies privées de transport interurbain, quelques lignes de banlieue du transporteur municipal se rabattent sur ce terminus.
Des bollards préviennent l'accès au centre de la ville aux véhicules qui n'y ont pas affaire. |
Les gares routière et ferroviaire sont situées tout juste au seuil de la vieille ville dont les rues sont, à toutes fins pratiques interdites à (la plupart de) la circulation automobile. L'accès au centre est restreint aux résidents, aux véhicules de service et aux véhicules d'urgence. Des bollards installés à chacune des entrées se rétractent seulement lorsque les boucles de détection sont activées, qu'un carte de radio-identification est balayée et qu'un NIP est correctement entré. On ne niaise pas avec la piétonnisation, ici.
Un microbus électrique Kavalir sur le pont Tromostovje. Source : Tamara Deu, LPP |
La Ljubljanski potniški promet (l'agence de transports collectifs, abbr. LPP) offre à l'intérieur de la zone piétonne un service de microbus électrique nommé Kavalir (« Gentilhomme ») sillonnant les rues et ruelles selon les besoins de ses utilisateurs. Les trois véhicules sont en service tous les jours de l'année, de 8 heures à 20 heures, transportant environ 350 passagers par jour. Les microbus fabriqués par la société italienne Esagono Energia peuvent transporter jusqu'à six personnes à la fois sur une distance de 80 kilomètres.
Vue de la Dunajska Cesta vers Bežigrad. |
Bien qu'on la sente en perte de terrain, la bagnole bénéficie d'un flagrant traitement royal à Ljubljana. Non seulement les voies de circulation sont démesurément larges dans la ville, le réseau routier supérieur semble hors de proportion pour une ville d'une telle taille. Une voie de ceinture de 30 kilomètres connecte les autoroutes aux différentes rocades et pénétrantes aux vitesses de circulation élevées.
Véhicule importé paradoxal : ces petites boîtes étaient fabriquées en Serbie et vendues sous le nom de Zastava Koral dans la fédération yougoslave, mais commercialisées comme des Yugo dans la plupart des pays de l'Ouest. La présence d'un rétroviseur côté droit témoigne d'un modèle récent ou luxueux. |
Le Trg Revolucije (depuis rebaptisé Republike), autrefois terrain de stationnement. Source : Nace Bizilj, Marjan Ciglič, Musée national de l'histoire contemporaine. |
L'offre en stationnement est assez généreuse au centre de la capitale comme dans sa périphérie. En plus de stationnements souterrains sous la plupart des buildings gouvernementaux et para-gouvernementaux, les terrains vagues sont souvent rentabilisés par la location d'espaces de stationnement. Même le monumental Trg Republike (« square de la République »), en dépit de sa charge sémantique et historique cruciale pour la jeune république, a été jusqu'à sa rénovation en 2014 un vulgaire terrain de stationnement. Son designer Edvard Ravnikar n'a pas vécu assez longtemps pour voir sa création redonnée aux humains. On y tient maintenant des joutes de hockey et des installations éphémères d'art public y siéent ponctuellement.
Trg Republike est de nouveau espace libre qui tient office de lieu de rassemblement pour les Slovènes. |
Les vélos sont interdits sur la Barjanska Cesta (« Route Marécageuse »). Ce cycliste semble en faire peu de cas. |
La bourgadette yougoslave a d'ailleurs implanté en 2011 un système de vélos en libre-service nommé BicikeLJ (prononcez «béciqu'hey»). La formule est si populaire qu'on compte plus d'une quarantaine de stations, espacées d'environ 300 mètres chacune. On retrouve même des stations au-delà de l'autoroute périphérique qui ceinture la ville. L'abonnement coûte 1 € par semaine ou 3 € par année et permet profiter à volonté d'un vélo une heure à la fois, toute l'année durant. Oui, l'abonnement coûte 1 € par semaine ou 3 € par année. Non, ce n'est pas une blague. Cessez de rire, ce n'est pas une blague.
Pour ces raisons et en dépit des incongruités (je qualifierais la Slovénie somme toute de douce et saugrenue), l'organisme Copenhagenize place la petite capitale au 13e rang des villes les plus favorables à la pratique du cyclisme sur la planète. Bien que les cyclistes puissent compter sur plus plus de 200 km de voies cyclables, le vélo n'occupe qu'une place marginale par rapport aux modes motorisés (ou même par rapport à la marche); il s'agit du mode privilégié pour un ménage sur 10, une proportion semblable à celle que l'on retrouve à Montréal.
Un autobus articulé MAN SG220. Source : BurekBuster, CC-BY-SA 3.0 |
La Ljubljanski potniški promet (LPP) possède une vaste flotte d'autobus, vaste de par la variété en âge et en modèles. Lors de ma seule visite (qui a duré 3 jours), j'ai pu y dénombrer 25 spécimens différents fabriqués au courant des 2 dernières décennies. La plupart, sinon la totalité des véhicules récents fonctionnent au gaz naturel comprimé (méthane).
La carte Urbana, ainsi qu'une collection d'anciens jetons de la LPP. Source : Mich973, CC-BY-SA 3.0 |
Le seul paiement accepté à bord des véhicules de la Lubljanski potniški promet est la carte Urbana, une sorte de porte-monnaie électronique également accepté en rétribution pour la plupart des services municipaux de Ljubljana (parcomètres, BicikeLJ, bibliothèques municipales, ...). Cette carte a remplacé un ancien système de jetons de laiton et de plastique.
Un Urbanomat dans son habitat naturel. Source : Ville de Ljubljana |
Il est possible de recharger la carte Urbana dans la plupart des tabacs, kiosques à journaux et épiceries (!), aux stations-service Petrol (!!), aux kiosques d'information touristique (!!!), à des bornes Urbanomat aux arrêts achalandés (!!!!) et en ligne (!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!1!!!...). La LPP exige un mince 1,20€ par personne par zone franchie. La carte permet de défrayer plusieurs passages simultanément, à condition de comprendre les instructions en slovène de la valideuse, sinon un « dve osebi, prosim » marmonné approximativement au chauffeur fonctionne aussi. Les contrôles de titres, très fréquents, se font à bord des véhicules par d'impassibles agents armés.
Les voies réservées aux autobus sont assez répandues, rassemblant même jusqu'à une vingtaine de lignes au centre-ville. Lors de notre visite, l'axe de transport collectif le plus important, la Slovenska Cesta, était en train d'être convertie en rue partagée réservée aux bus lors des jours de semaine.
La Slovenska Cesta est désormais partagée entre ses différents utilisateurs Attribution : Amanda Slater, CC-BY-SA 3.0 |
Des automotrices Siemens Desiro de la SŽ sont garées devant la brasserie Pivovarna Union. |
La Slovenske Železnice (« Chemins de fer Slovènes ») est l'unique compagnie responsable du transport ferroviaire de passagers en Slovénie. Elle opère du matériel vieillissant ― et, disons-le, souvent « localement décoré » ―, parmi lequel du matériel tracté, mais également quelques automotrices électriques (dont des trains à grande vitesse italiens Pendolino) et surtout des automotrices à diésel.
Le réseau compte deux plaques tournantes, soit Ljubljana et Zidani most, pittoresque hameau aux confluents des gorges des rivières Sava et Savinja, 50 kilomètres à l'est de Ljubljana. C'est là que sont départagés les trains vers la Croatie, l'Autriche ou l'Hongrie. Entre ces deux gares majeures, la fréquence des trains est très élevée : aux heures de pointe, de 5 à 10 minutes séparent chaque passage d'un train dans une direction donnée.
La SŽ (prononcez « SG ») opère un sur le réseau de 1207 kilomètres de voies ferrés quatre classes de trains : les trains locaux et régionaux, les trains régionaux transfrontaliers, les trains intercités, ainsi que les trains à grande vitesse ICS, lesquels n'opèrent qu'entre Maribor et Koper via Ljubljana ― 3 des 5 villes les plus peuplées. À l'exception du corridor Ljubljana-Zidani most, la plupart des trains locaux et régionaux font leur dernière entrée en gare avant 23 heures. Les tarifs minimaux varient de 2 à 3 € pour rejoindre une gare de banlieue, et 25 € suffisent largement pour couvrir l'ensemble de la république. Un supplément est exigé pour tout trajet sur un train dont l'origine ou la destination est hors du pays.
Sous sa parure urbaine, cette rame automotrice des années 70 est vêtue de couleurs et de logos de l'époque yougoslave. |
La SŽ (prononcez « SG ») opère un sur le réseau de 1207 kilomètres de voies ferrés quatre classes de trains : les trains locaux et régionaux, les trains régionaux transfrontaliers, les trains intercités, ainsi que les trains à grande vitesse ICS, lesquels n'opèrent qu'entre Maribor et Koper via Ljubljana ― 3 des 5 villes les plus peuplées. À l'exception du corridor Ljubljana-Zidani most, la plupart des trains locaux et régionaux font leur dernière entrée en gare avant 23 heures. Les tarifs minimaux varient de 2 à 3 € pour rejoindre une gare de banlieue, et 25 € suffisent largement pour couvrir l'ensemble de la république. Un supplément est exigé pour tout trajet sur un train dont l'origine ou la destination est hors du pays.
Outre la barrière de la langue, le système des trains slovènes est difficile à utiliser. Les billets doivent être soit achetés à des distributrices, soit à des préposés (après avoir attendu de longues minutes en file). S'il est aussi difficile d'obtenir l'horaire d'une liaison en version imprimée qu'en ligne, toute information concernant les lignes qui franchissent la frontière relève carrément du tabou. Les billets vers les destinations hors du pays doivent impérativement être achetés auprès de préposés désignés. Aucun horaire de train international n'est affiché, si ce n'est qu'au tableau des prochains départs. C'est à se demander si l'opacité qui entoure des liaisons internationales est un leg de l'époque socialiste.
Nous avons tenté de quitter la ville pour rejoindre la côte Adriatique en train, mais toute liaison ferroviaire vers l'ouest du pays était impossible en raison de travaux de réhabilitation d'urgence de la voie à la suite d'un glissement de terrain forçant l'arrêt complet du service.
Nous avons dû nous rabattre sur une navette de remplacement effectuée en autocar. Quelque 9 € nous ont menés à Koper dans un tapecul tout aussi rétro que le matériel roulant de la compagnie ferroviaire, aux sièges déchirés et aux fenêtres à l'étanchéité discutable.
Nous avons dû nous rabattre sur une navette de remplacement effectuée en autocar. Quelque 9 € nous ont menés à Koper dans un tapecul tout aussi rétro que le matériel roulant de la compagnie ferroviaire, aux sièges déchirés et aux fenêtres à l'étanchéité discutable.
Koper/Capodistria
Des super porte-conteneurs vont et viennent de façon quasi-continue dans le havre du seul port de Slovénie. |
Koper est une ville portuaire bilingue (slovène-italien) peuplée de 23 000 habitants sise sur la minuscule côte slovène depuis quelques millénaires seulement. La ville se divise en trois secteur distincts : une ville fortifiée étriquée qui fait pâle figure au centre d'une invraisemblable cité de Power Centres et de Big Box industrielles, où des stationnements infinis et cours d'entreposage rivalisent avec le charme vénitien de la fortification millénaire. Accrochée aux collines, lovée entre les vergers et les vignobles, une cité moderniste complète le cours d'histoire de l'urbanisme 101. Agrémentez de fruits de mer, d'agrumes et de pâtisseries slaves, arrosez de vin local et nappez de sauce tomate et vous obtenez un Koper bien frais.
La région est extrêmement bien drainée par les autoroutes et les routes nationales, située aux carrefour des chemins qui mènent vers l'Istrie croate, vers la capitale slovène et vers l'Italie, à 10 kilomètres de là.
Tous ces kilomètres linéaires et surfaciques de bitume n'ont pas pu empêcher la crise financière et immobilière d'atteindre la métropole de l'Istrie slovène, et les cicatrices sont encore très visibles dans le tissu urbain.
La circulation automobile est strictement interdite dans la ville intra-muros sauf pour les détenteurs d'une vignette spéciale. Hors des murs, ce n'est pas l'espace pour se garer qui manque; une mer d'asphalte s'étend partout autour de la cité maritime.
Power Centres et Big boxes industrielles rivalisent avec la cité millénaire. |
« No future » scande une inscription sur le chantier abandonné d'un centre commercial. |
Au seuil de la cité maritime fortifiée, des mers de stationnement. |
Du parking, même dans les petites allées. |
L'un des gardiens de la salubrité de la fortification. |
La topographie du centre n'est pas adaptée à la pratique du patin à roues alignées et encore moins au vélo bien que quelques deux-roues s'y aventurent; les petites ruellettes aux pavés craquelés sont parsemées d'escaliers et se terminent souvent en cul-de-sac.
La gare d'asphalte de Koper tombe en ruine, avec son terminus d'asphalte au milieu d'asphalte. |
La gare de Koper, entouré d'un hypermarché de plusieurs étages, une piste de go-kart et un échangeur autoroutier, tombe en ruine ― puissant symbole de la déchéance des transports publics dans la région. La gare concentre une multitude de liaison urbaines, périurbaines, régionales, nationales et internationales, tant ferrées que routières. La filiale de la Deutsche Bahn Arriva, très présente sur la côte slovène, opère le réseau municipal de la ville portuaire, et la relie aux autres villes des environs.
De là, nous nous sommes dirigés vers Trieste (Trst, comme on dit ici), un périple à bord d'un autobus urbain rempli ― nous étions pourtant samedi. Le service est basé en Italie et comme à peu près tout dans ce pays, il est fermé le dimanche. Notre mouvement de moins de vingt kilomètres vers le nord nous a coûté 3,20 €.
Au bout de 45 interminables minutes, nous sommes débarqués à la majestueuse et marbrée gare Stazione di Trieste Centrale : Ciao Italia!
À venir : Maribor, Trieste et Vienne
De là, nous nous sommes dirigés vers Trieste (Trst, comme on dit ici), un périple à bord d'un autobus urbain rempli ― nous étions pourtant samedi. Le service est basé en Italie et comme à peu près tout dans ce pays, il est fermé le dimanche. Notre mouvement de moins de vingt kilomètres vers le nord nous a coûté 3,20 €.
Au bout de 45 interminables minutes, nous sommes débarqués à la majestueuse et marbrée gare Stazione di Trieste Centrale : Ciao Italia!
À venir : Maribor, Trieste et Vienne